Ken Aptekar — Solo Show
Participant à Drawing Now 2026 du 26 au 29 mars 2026.
Pendant le confinement qu’il a vécu en Bourgogne, Ken Aptekar ressuscite une tradition qui semblait, jusqu’à récemment, relever d’un temps révolu : l’enluminure.
Depuis 2020, la série Illuminated Manuscripts in the Age of Social Media and Texting (en français : Les manuscrits enluminés à l’ère des réseaux sociaux et de la messagerie instantanée) en adopte la grammaire précise : marges architecturées, lettrines peintes à la gouache, fonds ornés de motifs géométriques ou de rinceaux, rehauts de feuille d’or ou d’argent qui donnent à l’image sa lumière propre.
Cependant, ce retour à l’enluminure n’a rien de nostalgique. Ken Aptekar y introduit les éléments les plus volatils de notre époque digitalisée : notifications, extraits de conversations instantanées, fragments de réseaux sociaux, typographies empruntées aux interfaces digitales. Le lexique visuel de l’enluminure — la bâtarde gothique, la capitale ornée, la bordure marginale — rencontre les codes de la communication numérique : compression du langage, émoticônes, injonctions brèves, flux de commentaires. La collision est volontaire, presque méthodique. Elle révèle la tension entre deux régimes d’attention : l’un fondé sur la lenteur, la répétition et le soin ; l’autre sur la vitesse, la réaction et l’obsolescence programmée.
L’Art de Ken Aptekar n’a toutefois jamais été purement formel. Dès ses premières peintures-textes, il s’est rapproché des préoccupations du mouvement conceptuel Art & Language, interrogeant la manière dont le texte structure la perception et redistribue le sens. Ici encore, l’écriture — qu’elle émane d’un moine copiste du XVᵉ siècle ou d’un téléphone du XXIᵉ — devient le véritable terrain d’investigation. Le texte ne commente pas l’image : il en est la clef, l’enjeu, parfois même l’ironie. L’artiste met le spectateur en position d’interprète, obligé de lire avant de voir, de recomposer mentalement ce que l’œuvre propose et ce qu’elle dissimule.
La contradiction entre sacré et trivial, entre illumination et message éphémère, devient féconde. En encadrant des bribes de communication digitale par des structures inspirées des manuscrits liturgiques, Ken Aptekar confère à l’éphémère une profondeur inattendue. La feuille d’or — traditionnellement réservée aux passages essentiels — entoure ici des fragments de langage instantané, dévoilant nos nouvelles formes de croyance : la valorisation du commentaire, l’urgence de l’avis, la ritualisation du partage.
Sous l’humour et la satire, une réflexion plus vaste affleure : que reste-t-il de la lecture lorsque la vitesse gouverne tout ? En offrant un espace où la page redevient un objet à parcourir lentement, Ken Aptekar réintroduit la possibilité d’une lecture attentive, non distraite. Le spectateur n’est plus un utilisateur soumis à la logique des flux, mais un lecteur actif, attentif aux détails, à la résonance entre les mots et l’image, à ce que l’enluminure médiévale appelait précisément “l’ornement du sens”.
En soi, les œuvres de Ken Aptekar ne cherchent ni à condamner la communication numérique ni à célébrer le passé : elles proposent un dialogue fertile entre deux manières de produire des signes. Elles rappellent qu’interpréter demeure un acte essentiel — un acte qui demande du temps, de la précision, et cette attention profonde que l’artiste, avec une délicatesse rare, rend de nouveau possible.
