Je suis tombée sur cette phrase du philosophe italien Davide Sisto dans son ouvrage Remember Me: Memory and Forgetting in the Digital Age. Pour Sisto, la mémoire et l’oubli ne sont pas des opposés : ils partagent les mêmes qualités et ne peuvent être séparés l’un de l’autre.
En tant qu’artiste, j’ai exploré les thèmes de la mémoire et de l’absence, en utilisant divers matériaux d’archives comme points de départ de mes œuvres. Ces thèmes fondamentaux orientent fortement mes choix de matériaux. En même temps, mon travail avec les médias fondés sur l’image renforce les sujets que j’aborde, puisque la photographie et la vidéo entretiennent une longue histoire liée au thème de la mémoire.
Je conçois mon processus artistique comme une spirale. Il s’enroule et revient sans cesse vers les thèmes de la mémoire, selon différentes perspectives. Ma pratique est influencée et inspirée à la fois par les changements d’environnement et par mes lectures. Par exemple, mon exploration de la relation entre archéologie et mémoire a commencé avec les réflexions de la chercheuse Joanna Zylinska sur la photographie comme véhicule de la fossilisation du temps, et s’est poursuivie à travers des résidences d’artistes en République tchèque, au Danemark et en Italie.
Au fil de mon parcours, j’ai emprunté les lentilles de l’archéologie, de la psychologie, de l’histoire et de l’écologie. Par exemple, mon œuvre Weight of Memory (exposée à la Galerie Le Clézio à Paris du 14 novembre au 25 janvier) a été créée lors d’une résidence au Danemark, où j’ai visité des fouilles archéologiques et travaillé dans une fonderie locale.
Cette œuvre est une sculpture en bronze composée d’une pile de photos d’albums familiaux, dont l’aspect calciné et pétrifié invite à réfléchir au poids des souvenirs à travers l’acte physique de porter la pièce.
Hanna Råst, Weight of Memory, 2022. © Hanna Råst / Le Clézio Gallery
Plus récemment, je suis revenue à l’idée de protection et de préservation : un espace qui abrite la mémoire mais qui se transforme à chaque visite. L’exemple le plus immédiat d’un tel espace est sans doute la maison. Pour Sisto, la mémoire ne repose pas sur l’idée que le passé puisse être entièrement rappelé. Le passé commence à s’estomper et à se déformer, ce qui rend nécessaire l’acte d’oubli. Lorsque quelque chose nous échappe, nous devons combler le vide laissé par notre imagination.
Quand un souvenir ou un moment enregistré se désintègre, cela remet en question ce sur quoi nous fondons, en fin de compte, nos identités individuelles et collectives. Dans mon processus actuel, je vois cette désintégration et cette distorsion comme une occasion de créer quelque chose de nouveau. Par ce biais, nous pouvons reformuler et remodeler nos manières de percevoir et de comprendre.
Il est en fait facile de comprendre pourquoi un certain thème reste captivant année après année, même s’il acquiert de nouvelles nuances et perspectives. C’est quelque chose qui a toujours été là, depuis le début : un compagnon de voyage grâce auquel donner sens à un monde en mutation et répondre aux transformations à la fois personnelles et sociétales.