Que devient une image lorsqu’elle cherche à dépasser la simple surface pour s’incarner pleinement dans la matière ? Comment une photographie peut-elle faire advenir une mémoire enfouie, vibrer l’invisible, devenir présence habitée ?
En partenariat avec Photo Days
Ces questions traversent les pensées d’Alexandre Onimus, et trouvent un écho singulier dans sa série « Pourtant, la nuit n’est pas encore tombée », fruit d’une résidence en 2023 au Fonds de dotation Verrecchia.
Refusant l’idée d’une image purement plane ou reproductible, l'artiste revendique une photographie tangible, organique, presque minérale. Pour lui, l’image ne vit que si elle devient objet : surface sensible, peau fragile, lieu d’apparition. Chaque tirage devient l’aboutissement d’un processus lent et intuitif, entre maîtrise technique et lâcher-prise.
Pour mener cette quête, Alexandre Onimus utilise l’un des plus anciens procédés monochromes non argentiques : le cyanotype, grâce auquel le jaune intense exposé à la lumière du soleil se mue en bleu de Prusse. Mais chez lui, ce bleu n’est pas seulement chimique : il devient atmosphère, vibration, respiration. Appliqué sur des supports minéraux — marbre ou calcaire —, l'artiste dialogue avec la matière profonde des pierres. Le marbre, dense, imprime l’image à fleur de surface ; le calcaire, plus poreux, absorbe, diffuse, révèle des accidents, des textures souterraines. Ce que la pierre retient en silence, la lumière l’éveille peu à peu.
En s’ancrant dans cette minéralité, le cyanotype se relie à une mémoire archaïque : celle des pétroglyphes, où les civilisations ancestrales gravaient leurs récits, leurs figures mythiques, leur rapport aux astres. L’artiste ravive ici ces traces disparues. De la pierre émergent des silhouettes anthropomorphes semblant ranimer un culte englouti où jadis, le soleil et la lune étaient vénérés. L’homme-soleil, qui éclaire, imprime et révèle, danse avec l’homme-lune, qui absorbe, transforme et veille dans l’ombre.
Entre ces deux pôles, la lumière devient souffle, le geste devient rite. Le bleu du cyanotype rejoint celui de l’heure bleue : ce moment fragile où le jour s’éteint sans que la nuit ne soit encore tombée. La lumière naît du bout des doigts, créant un lien immatériel entre le ciel et la terre, une symbiose entre l’astre lunaire et solaire.
C’est dans cet entre-deux que les images d’Alexandre Onimus prennent forme : ni tout à fait là, ni tout à fait disparues, elles habitent un seuil. Elles ne documentent pas, elles rappellent. Elles ne fixent rien, elles laissent affleurer une présence incertaine, une mémoire en suspension.